Cela va devenir une habitude quasi quotidienne : pas un jour sans une annonce de censure sur les médias, la presse ou l’édition outre atlantique…
Depuis plusieurs années, la censure des livres connaît une montée en puissance alarmante aux États-Unis. Longtemps restreint à des contextes spécifiques – souvent motivés par des préoccupations morales ou religieuses –, le phénomène a pris une ampleur nationale avec l’intensification des tensions politiques et culturelles. Depuis l’élection de Donald Trump en 2024 et sa prise de fonction le 19 janvier 2025, cette tendance s’accélère notamment sous l’impulsion de gouvernements locaux conservateurs et de groupes militants prônant une surveillance accrue des contenus éducatifs.
Les interdictions touchent principalement les livres abordant des thématiques liées à la race, au genre et à la sexualité, avec une focalisation croissante sur les ouvrages destinés aux jeunes. Dans ce contexte, bibliothécaires, enseignants et militants de la liberté d’expression se retrouvent en première ligne pour défendre l’accès à la connaissance et au débat démocratique. Des enquêtes grand public de l’institut indépendant EveryLibrary documentent même le regard des américains sur cette question.
Dans cet article, nous compilerons quelques informations sur les origines historiques de la censure aux États-Unis, les dynamiques récentes de son accélération et les perspectives, au moins pendant cette mandature de Trump, d’avenir pour les bibliothèques face à ce défi croissant.
Une histoire de censure aux États-Unis : entre morale, politique et contrôle social
La censure des livres aux États-Unis ne date pas d’hier. Depuis le XIXe siècle, des ouvrages ont été bannis ou contestés pour des raisons diverses, qu’il s’agisse de préoccupations morales, religieuses ou politiques.
Dès le XIXe siècle, des œuvres littéraires sont retirées des bibliothèques ou critiquées pour leur contenu jugé immoral. Des romans comme Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain (1885) sont contestés pour leur langage et leur représentation des Afro-Américains, tandis que L’Origine des espèces de Charles Darwin (1859) est censuré dans certaines écoles pour ses implications scientifiques jugées contraires à la foi chrétienne.
La Guerre froide et la censure politique
Au XXe siècle, la censure prend une dimension politique. Pendant la Guerre froide, les œuvres suspectées de sympathiser avec le communisme sont bannies ou mises sous surveillance. 1984 de George Orwell et Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley sont perçus comme des critiques du capitalisme, tandis que des livres marxistes sont interdits dans plusieurs États.
Par ailleurs, la censure morale continue d’évoluer. Ulysse de James Joyce est jugé obscène et interdit aux États-Unis jusqu’en 1933….
Le tournant du XXIe siècle : entre diversité et résistance conservatrice
Avec l’émergence de nouveaux débats sociétaux, la censure s’oriente vers des questions de genre, de race et de sexualité. Les œuvres traitant des droits civiques, de l’histoire critique des États-Unis ou des identités LGBTQ+ font l’objet d’attaques de plus en plus fréquentes. L’essor des réseaux sociaux et des mouvements conservateurs renforce cette dynamique, préparant le terrain pour une explosion des interdictions dans les années 2020.
Une explosion des interdictions de livres depuis 2020

Les dernières années ont vu une augmentation drastique des tentatives d’interdiction de livres dans les bibliothèques publiques et scolaires.
Les principales cibles de la censure
D’après des rapports de l’American Library Association (ALA) et de l’EveryLibrary Institute, les interdictions de livres ont explosé entre 2020 et 2024, avec des milliers de demandes de retrait. Voici quelques ouvrages particulièrement visés :
- Gender Queer – Maia Kobabe → Motif : contenu LGBTQ+, illustrations jugées inappropriées
- The Bluest Eye – Toni Morrison → Motif : scènes de violence et de sexualité
- All Boys Aren’t Blue – George M. Johnson → Motif : témoignage LGBTQ+ et discussions sur la sexualité
- The Hate U Give – Angie Thomas → Motif : critique des violences policières
- Maus – Art Spiegelman → Motif : nudité (dans un contexte de bande dessinée sur l’Holocauste)
- Stamped: Racism, Antiracism, and You – Ibram X. Kendi & Jason Reynolds → Motif : perspective critique sur l’histoire du racisme aux États-Unis
Une influence politique croissante
Des figures politiques conservatrices, notamment en Floride et au Texas, ont soutenu des lois facilitant l’interdiction de livres jugés « controversés ». Les gouverneurs Ron DeSantis et Greg Abbott ont été parmi les plus actifs dans cette démarche, proposant des réformes législatives visant à retirer certains contenus des écoles.
Depuis 2025 : une accélération sous la présidence Trump

Avec la réélection de Donald Trump en 2024 et sa prise de fonction en janvier 2025, les tendances observées ces dernières années se sont intensifiées.
Nouvelles lois et politiques
Depuis le début du second mandat de Trump, plusieurs États ont adopté des lois élargissant les pouvoirs des parents et des conseils scolaires pour contester et retirer des livres des établissements éducatifs. Certaines de ces lois :
- Permettent de bannir un livre après une seule plainte parentale
- Imposent des sanctions aux bibliothécaires qui refusent de retirer un ouvrage contesté
- Encouragent la mise en place de « commissions de surveillance des bibliothèques »
Nouveaux livres interdits en 2025
Selon l’EveryLibrary Institute, de nouveaux titres ont été ajoutés à la liste des ouvrages censurés cette année :
- Out of Darkness – Ashley Hope Pérez (relations interraciales et racisme)
- This Book is Gay – Juno Dawson (éducation LGBTQ+)
- The 1619 Project – Nikole Hannah-Jones (histoire critique du racisme)
Ces interdictions s’accompagnent d’une pression croissante sur les bibliothécaires, dont le travail est de plus en plus politisé.
Quelle résistance face à la censure ?

Face à cette montée de la censure, plusieurs acteurs se mobilisent pour défendre la liberté d’accès à l’information. Les bibliothèques publiques et scolaires développent plusieurs stratégies :
- Numérisation et accès en ligne des ouvrages censurés : The Banned Book Club
- Création de clubs de lecture anti-censure
- Organisation d’événements et de débats publics
Le rôle des associations et des citoyens
L’EveryLibrary Institute et l’ALA encouragent la mobilisation des citoyens via :
- Des pétitions et actions en justice
- La participation aux conseils scolaires pour bloquer les tentatives d’interdiction
- La sensibilisation via les réseaux sociaux et les médias
Une bataille en cours pour la liberté d’accès au savoir
La question reste : jusqu’où ira cette censure, voire cette purge, et quelles seront ses conséquences à court et moyen terme, sur la société américaine et sur les générations futures ?