Le président sud-coréen Lee Myung-bak a reçu, vendredi 19 mars, le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner, pour, entre autre, évoquer avec lui « l’affaire des manuscrits volés » ….
Depuis 1976, ce dossier est un vrai contentieux diplomatique entre la France et la Corée du Sud. Si les Coréens considèrent toujours « que ces archives appartiennent à leur patrimoine culturel », au regard de la France, ce patrimoine est dans les collections de la BNF depuis 1867 et est donc, à ce titre, inaliénable…
Or même si le chef de la diplomatie française a promis « la plus grande coopération », qu’en est-il vraiment de ce dossier ?
Bienvenue dans le feuilleton-biblio-juridico-diplomatique franco-coréen du printemps :
Les faits (d’armes?)…
En 1866, des militaires français avaient « saisi » (après en avoir brulé 5.000 !) 350 manuscrits dans la bibliothèque royale Oegyujanggak de l’île de Kangwha, à l’ouest de Séoul, le tout officiellement « en représailles à l’exécution d’un prêtre français ». L’année suivante, les ouvrages rentrent dans le fonds de la BNF. Début de l’histoire.
Les manuscrits en questions…
Ce sont très précisément 297 des 3895 volumes des Protocoles royaux, appelés Uigwe, de la dynastie Joseon. Cet ensemble constituent un témoignage historique unique en leur genre : mêlant textes et dessins, ils recensent et établissent les règles des cérémonies officielles et de la vie de cour sous la dynastie Joseon, au pouvoir dans la péninsule coréenne de 1392 à 1910. Longtemps « oubliés » dans le fonds chinois de la Bibliothèque nationale, c’est en 1975 qu’un historien coréen, Park Byeong-seon, annonce leurs « découvertes » . Cette collection de 297 volumes est complémentaire d’autres ouvrages similaires conservés par l’Université nationale de Séoul (collection des archives de Kyujanggak).
Des textes d’une grande valeur, inscrits par l’UNESCO depuis 2007 au registre international Mémoire du monde.
Et le droit dans tout cela…
Le droit international d’abord :
La Convention des Nations unies concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, adoptée en 1970, prévoit le retour permanent de tous les biens obtenus illégalement… sauf que… elle ne s’applique pas à ceux volés avant sa signature.
Le droit français ensuite :
Le 24 décembre, le tribunal administratif de Paris déboute l’ONG sud-coréenne Munhwa Yondae qui demandait, depuis janvier 2007, la restitution des précieux manuscrits. Le tribunal justifié son rejet par le fait que, étant conservés à la Bibliothèque nationale de France, ces manuscrits appartiennent à l’Etat français ; le contexte et les conditions dans lesquels ils ont été saisis ne changent rien à l’affaire. Pour la petite histoire, le “principe d’inaliénabilité” régit les collections publiques depuis 1566, décision prise par le roi de France Charles IX pour les biens de la Couronne qui constituaient l’essentiel des collections du musée du Louvre. Au XIXe siècle, cette règle a été étendue à l’ensemble des collections publiques.
Le décret du 3 janvier 1994 qui régit la Bibliothèque nationale de France stipule, dans son article 21, : « Les collections mentionnées à l’article 2 du présent décret (c’est-à-dire toutes les collections de la BNF) restent la propriété inaliénable de l’État ».
Cela ne signifie pas pour autant que les collections de la BNF sont à jamais et absolument inaliénables…mais tout simplement qu’elles appartiennent à l’État, par opposition à l’établissement public auquel elles sont confiées, et que l’état, et lui seul, peut les aliéner. Dans ce contexte, l’affirmation de l’appartenance des collections de la BNF au domaine inaliénable de l’État est seulement la conséquence logique de la première des missions assignées à l’établissement : « collecter, cataloguer, conserver et enrichir dans tous les champs de la connaissance, le patrimoine national dont elle a la garde ».
Sauf que… en 2002, la loi sur les musées avait déjà écorné ce principe, donnant la possibilité aux musées de décider d’un “déclassement” d’oeuvres après l’avis d’experts.
Où l’on invente le « prêt de longue durée sans terme »…
Les biens appartenant aux collections publiques – et donc, les collections des bibliothèques – sont, à l’égal des biens classés, considérés comme « trésors nationaux ». Par définition, ils sont inexportables. ls peuvent toutefois être exportés à titre temporaire « aux fins de restauration, d’expertise, de
participation à une manifestation culturelle ou de dépôt » à condition qu’une autorisation ait été délivrée par le ministre chargé de la Culture. Dans le cas où le bien est exporté hors du territoire douanier de la communauté économique européenne, une deuxième autorisation est délivrée, au vu de la première, par le ministre chargé des douanes.
L’autorisation délivrée par le ministre chargé de la Culture précise, bien sur, les destinations et la date de retour obligatoire du bien…
Petit historique de la parole de la France…
– Septembre 1993 : à l’occasion d’une visite d’état du président François Mitterrand en Corée (Paris vient vendre des TGV à la Corée) un volume de cet ensemble avait été remis au gouvernement coréen, sous forme de prêt permanent : il s’agit du premier tome d’un ouvrage en deux volumes, le Hyikyungwon-Wonsodogam-Uigwe, enregistré à la Bibliothèque nationale sous le nom « Coréen 2495 ».
Le TGV a bien été vendu, le second tome et les suivants, sont toujours sur les rayons de la BNF.
– 1999 : une mission de médiation a été confiée en 1999 à M. Jacques Sallois, conseiller maître à la Cour des Comptes, pour explorer avec la partie coréenne les termes d’un accord. L’idée d’un « prêt croisé de longue durée » pour les manuscrits n’aboutira pas.
– 2006 : la Corée et la France ont fêté conjointement le 120e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays. Visite officielle du premier ministre de Corée à Paris et signature d’un accord avec la BNF (1)
– Mars 2008 : Remise aux autorités Coréennes, des copies numériques des manuscrits royaux. Dans le communiqué officiel, nulle mention sur l’histoire des manuscrits…
– 2010 : Jack Lang (émissaire officiel de Nicolas Sarkozy en Corée du Nord) déclare même qu’il s’agissait d’un « trésor national de la Corée, du peuple coréen ». « Les discussions sont en cours, les choses avancent » et précise qu’il « souhaitait depuis longtemps que la France puisse accomplir ce geste d’amitié, de réparation historique » et même « d’avoir suggéré en 1993 à François Mitterrand d’assurer la restitution sous une forme juridique appropriée de ces archives à la Corée ».
En attendant la BNF numérise …
Voici en résume, le communiqué officiel de la page, sur le site de la BNF, consacrée au fonds des manuscrits coréen :
A l’occasion de la visite officielle à Paris de Mme Han Myeong-Sook, premier ministre de Corée, en juin 2006, un accord a été conclu entre la France et la Corée sur les points suivants : facilitation de l’accès à la Bibliothèque nationale de France des chercheurs coréens … ; Numérisation de 30 volumes uniques (dont il n’existe aucune copie en Corée) selon des spécifications arrêtées en commun avec des experts coréens, ceux-ci étant également associés aux principales étapes du contrôle de qualité. .
Les manuscrits numérisés sont consultables en ligne simultanément sur les sites de l‘Agence coréenne du Patrimoine Culturel et de la BNF.
Novembre 2010, le dénouement ? …
L’Agence coréenne du Patrimoine Culturel estime qu’il y a actuellement environ 76.143 biens culturels nationaux conservés dans 20 pays…A ce titre elle est en pointe, notamment avec l’UNESCO, dans la « promotion du retour de biens culturels
à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale ».
En novembre 210, le sommet du G20 se tiendra à Séoul …
Et si d’ici là aucun accord est trouvé, nul doute qu’entre la poire et le fromage, Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner auront surement à répondre a une nouvelle demande du président sud-coréen Lee Myung-bak, pour leur rappeler qu’en Corée du Sud, on ne rigole pas avec le patrimoine national…
Bibliofrance.org
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